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CARTONS Une sélection de cartons d'invitation conçus par les artistes Martine Aballéla . Carl André . Arman . Robert Barry . Glen Baxter . Ben . Slater Bradley Pierre Buraglio . Patrick Caillière . Alain Clément Claude Closky . Complete Arthole Continuous Project . Paul Cox . Cruz Diez . Wim Delvoye . Erik Dietman . Olivier Dollinger Peter Downsbrough . Emmanuel . Isabelle de Falere . Hans-Peter Feldmann . Spencer Finch . Sylvie Fleury . Jean-François Fourtou . Julien Gardair . Rodney Graham . Raymond Hains . Simon Hantaï . Joël Hubaut . Fabrice Hyber . Shirley Jaffe . Sean Landers . Denis De Lapparent . Matthieu Laurette . Jonathan Monk . François Morellet . Jean-Luc Moulène Antoni Muntadas . Peter Nagy . Pierre Petit . Bernard Piffaretti . Présence Panchounette Hubert Renard . Jean-Paul Riopelle . Jean-François Robic . Bojan Sarcevic . Yann Sérandour . Daniel Spoerri . Jeanne Susplugas . Ernest T . Tatiana Trouvé . Ultralab . Télécharger le carton d'invitation de l'exposition . Télécharger le Journal du Cabinet du livre d'artiste n°3 au format PDF
REGARDER LE DOIGT QUI DÉSIGNE LA LUNE "Un monde où les œuvres seraient gratuitement envoyées par la poste à des dizaines de milliers de personnes est-il un monde possible ? Aussitôt on entend un choeur cynique s'élever à l'unisson contre le danger d'une telle utopie : les artistes considèrent qu'ils doivent vivre de la vente de leur art, les collectionneurs craignent la perte de valeur de leur collection, les gestionnaires de la culture voient déjà leur budget exploser, les idéologues ne veulent pas laisser imaginer que l'art peut exister en dehors du marché, etc. Et pourtant ce monde est le nôtre, quoique rares soient ceux qui s'en sont rendu compte. Cette exposition élaborée par Aurélie Noury, fait état d'une recherche, par définition fragmentaire, portant sur les projets d'artistes qui ont imaginé que le carton d'invitation, qui d'habitude ne fait qu'accompagner et annoncer une exposition et à ce titre n'a d'existence qu'à la périphérie des « vraies » valeurs de l'art, peut devenir lui-même le support d'une œuvre à part entière ; non pas qu'il puisse être aussi « beau » qu'une œuvre, mais il peut avoir le même statut et la même légitimité qu'elle ou en constituer une partie. Afin de l'admettre, il fallait certes faire tomber quelques préjugés esthétiques ou idéologiques : l'œuvre serait un objet, de surcroît fabriqué manuellement par l'artiste lui-même ; une œuvre ne pourrait être reproductible par des moyens ordinaires, ce qui suppose que l'originalité rime avec l'unicité ou la rareté de l'objet (qui sont des valeurs marchandes) ; une œuvre n'aurait pas de valeur si elle est offerte gratuitement ou envoyée par la poste à un nombre important de personnes, etc. En lisant ces passionnantes archives, on verra que certains artistes sont allés jusqu'à renoncer à faire une exposition : le seul carton (qui n'était plus alors forcément « d'invitation ») leur suffisait pour communiquer des idées artistiques, mettre en place un dispositif entièrement autonome, parfois d'une grande complexité, et même tenir lieu d'œuvre. Comme on pourra le lire ci-dessous, en 1969 Robert Barry a envoyé plusieurs cartons qui annonçaient la fermeture de la galerie pendant la durée de l’exposition : During the exhibition the gallery will be closed (Galerie Art & Project), For the exhibition the gallery will be closed (Galerie Sperone) et March 10 through march 21 the gallery will be closed (Eugenia Butler Gallery). Geste symbolique dans la mesure où cette mise entre parenthèses de l’exposition, ainsi que la marginalisation de ce qui occupait la place centrale dans la pratique de l’art (œuvres exposées dans une galerie), est elle-même considérée comme une œuvre et reçoit le statut de l’art et un titre : Closed Gallery Piece. Il ne serait donc pas « idiot », comme le veut le proverbe chinois, de décentrer le regard, de ne pas se fier à ce que certains doigts voudraient nous faire voir, car suite à une telle démarche à rebrousse-poil, l'art n'est plus un mirage que l'on pourrait comparer à la lune, mais une réalité tout à fait concrète que beaucoup ont la chance de recevoir chez eux, sous une enveloppe adressée à leur nom. L'idée de consacrer au carton d'invitation une des présentations du Cabinet du livre d'artiste a été lancée par Catherine Elkar, directrice du FRAC Bretagne qui, en plus de la documentation de nombreux artistes, possédait quelques cartons (boîtes) contenant en vrac quantité de cartons (d'invitation). Finalement, ce n'est pas dans ces cartons (boîtes), mais dans la documentation des artistes que nous attendaient les plus grandes surprises concernant les cartons (d'invitation). En effet, la documentation est librement accessible au public : lorsque Aurélie, avec deux stagiaires de l'université Rennes 2, Nolwenn et Océane, eut identifié dans les tiroirs du FRAC de magnifiques cartons d'invitation conçus par Ernest T., Sylvie Fleury, Wim Delvoye ou Lawrence Weiner, la question se posa de savoir s'ils ne devaient pas être déplacés à la réserve et protégés de la même manière que d'autres œuvres de la collection du FRAC. Ce sera le cas à leur retour du Cabinet du livre d'artiste. Il en est des cartons d'invitation comme il en est du temps dans les Confessions d'Augustin. Ce qu'est le carton, tout le monde le sait… jusqu'à ce qu'on s'interroge à son sujet. Car alors sa place, son statut juridique, son statut esthétique et enfin sa valeur artistique deviennent indéterminables. En préparant le présent numéro du journal, pour savoir si nous avions le droit de reproduire gratuitement les cartons, nous avons contacté l'A.D.A.G.P., Association des Auteurs dans les Arts Graphiques et Plastiques, qui gère les droits d'auteur d'environ 50 000 artistes : c'est ce sigle - incompréhensible pour le commun des mortels - qui, avec le signe du droit d'auteur (©), apparaît à côté de la plupart des œuvres visuelles reproduites en France. La réponse de l'A.D.A.G.P. tenait en une question : s'agit-il d'œuvres ou pas ? Bien sûr, notre intérêt aurait été de répondre « non », mais si nous contactions l'A.D.A.G.P., c'était parce que, selon nous, il s'agissait d'œuvres à part entière ou du moins d'éléments d'œuvres ; certes non pas sur le plan juridique, mais sur le plan artistique. Le carton d'invitation, dont la fonction première est de convier le public au vernissage d'une exposition, sème donc le trouble dans les certitudes esthétiques. Pour éviter de répondre à cette question qu'il appartient aux juristes de trancher, nous avons renoncé à reproduire dans le journal les cartons réunis pour cette exposition : exposition de cartons d'invitation aux vernissages d'expositions, exposition en marge des expositions. Ce choix nous a permis non seulement d'éviter une controverse juridique, mais encore de formuler un critère esthétique expérimental, qui - bien que controversé – apporte un certain éclairage sur le mode d'existence des cartons en tant que facteurs de l'art. En effet, comment, parmi environ deux cents cartons tous plus intéressants les uns que les autres, sélectionner quelques-uns pour les reproduire, sans tomber pour autant dans l'arbitraire ? Mais la question se pose aussi en amont : selon quel critère choisir les cartons pour l'exposition sans tomber dans des choix purement subjectifs : artistes favoris, types d'image privilégiés, voire couleurs préférées, ou simple coup de coeur ? Renoncer aux reproductions revient à décider de ne présenter que la liste des cartons, donnant - à travers une brève description - l'essentiel de l'idée, de la démarche ou de la signification de chacun. Un tel procédé d'archivage peut être considéré comme inspiré par le travail d'artistes comme Lefevre Jean Claude, pour qui « le rôle, la fonction de l'archivage est d'être à la fois la peau et le corps du travail de l'art. Sa justification est d'être traité comme trace ultime de l'art (1). » Ainsi cet artiste consacre- t-il par exemple une part importante de son travail aux cartels dont la fonction est de préciser en marge de l'œuvre son identité « civile » (auteur, titre, technique, date, propriétaire, etc.), travail qui nécessite, comme c'est le cas des cartons, un décentrement rafraîchissant du regard porté sur l'art. Certes, quelques-uns des cartons sélectionnés dans un premier temps pour notre présentation n'ont pas passé cette épreuve de la description, car elle faisait disparaître leur originalité, leur intérêt ou leur différence spécifique ; l'intérêt artistique de ces cartons reposait donc essentiellement sur leur aspect esthétique, non récupérable par les mots. Cartons « rétiniens », pourrait- on dire en empruntant l'adjectif, et ses connotations péjoratives, à Duchamp. Mais le nombre de cartons ainsi éliminé a été fort limité. Que signifie ce constat ? Il laisse penser que la nature des cartons retenus pour notre présentation est davantage « conceptuelle » qu’ « esthétique » et que c'est pour cette raison qu'en archiver les traces suffit pour en appréhender le sens et la valeur. On peut donc supposer que l'emploi des cartons d'invitation comme support d'idées ou de pratiques artistiques coïncide avec la tendance à la « désesthétisation » de l'art, qui déplace son centre d'intérêt vers l'aspect documentaire et intellectuel, tendance qui se manifeste dans les années soixante et soixante-dix, mais dont on peut ici observer les effets durables. Pourquoi vers l'aspect intellectuel ? Parce que la pensée et le sensible constituent deux grands territoires de l'expérience, et lorsque l'art limite l'importance de l'un d'entre eux, il privilégie inévitablement l'autre. Certes, le carton aura toujours une forme matérielle et sensible, mais sa fonction a changé : elle ne consiste plus à fournir du plaisir à travers la contemplation esthétique, mais à donner des informations sur l'idée et le dispositif conçus par l'artiste. Pourquoi vers l'aspect documentaire ? Parce que la désesthétisation de l'art en fait « un fragment du réel dans le réel (2) », selon le mot de Harold Rosenberg, inventeur de la notion de désesthétisation, et transforme profondément l'idée de l'œuvre, si elle ne la fait pas disparaître. Dès lors, la documentation, qui retrace les processus de l'art, en constitue l'ultime réalité. Les cartons d'invitation deviennent donc autant d'occasions soit d'intervenir dans ce fragment du réel qu'est devenu l'art d'aujourd'hui, soit d'en informer. Résonne dans une telle attitude la belle phrase de Johann Gottlieb Fichte : « Qui veut se cultiver, se cultive à propos de tout (3). » « Les ephemera d'artistes, écrit Anne Mœglin-Delcroix, ont ceci d'intrinsèquement provoquant au regard des usages de l'art qu'ils revendiquent leur enracinement dans l'ici et le maintenant. D'où leur absence de prétention à la pérennité. Ils sont par essence ce qu'il y a de plus " contemporain " dans l'art dit contemporain : ils sont absolument dans le temps et dans leur temps. Ce faisant, peut-être préservent-ils, plus que d'autres productions, ce que l'art contemporain a introduit de plus radical dans l'histoire des arts visuels : un rapport aux œuvres qui n'est pas de contemplation mais de lecture (4). » Le choix du carton d'invitation dans le programme du Cabinet du livre d'artiste se justifie par cette inscription dans l'univers de la lecture et - mais non accessoirement - de l'imprimé. Alors que d'habitude on fait un carton pour que des gens viennent voir l'exposition, le Cabinet du livre d'artiste propose une exposition pour que des gens viennent lire les cartons." Leszek Brogowski 1. LEFEVRE JEAN CLAUDE, « PRO 1985877900 », le 18 août 1994, in Textes pour suite / Pennadoù da heul, Rennes, Éditions Incertain Sens, 2001, n.p.
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