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FROSEIN-TER* DENIS BRIAND . Galerie de photos "Frosein-Ter*" . Télécharger le carton d'invitation de l'exposition . Télécharger le Journal du Cabinet du livre d'artiste n°4 au format PDF « CONGESTIONS DE LA MAMLAKA » : "Avez-vous remarqué que la mer est bleue sur les cartes géographiques, comme si elles disputaient à la peinture le privilège d’imiter la nature ? Mais la carte n’est pas un paysage. Dans les cartes du XVIIe siècle, on trouve encore régulièrement des paysages intégrés soit sous la forme d’un « médaillon » (une image dans une autre image) soit sous la forme d’une vue complémentaire : pour un marin qui n’aurait pas compris la vue du ciel (la carte), on ajouterait donc un point de vue humain (le paysage). Loin de se ramener l’un à l’autre, le paysage et la carte sont, dans ces cartes anciennes, comme les coordonnées cartésiennes à partir desquelles on peut reconstruire la nature. La comparaison de ces deux types de représentation est éclairante. Prenons l’exemple d’une de ces vieilles cartes qui, pour préciser l’entrée dans un port, incruste un bout de paysage côtier avec des fortifications. Dans l’histoire de la peinture, lorsqu’on rencontre un tel procédé, consistant à inscrire l’image dans l’image, il sert en général une mise en abîme de la représentation : celle-ci n’ouvre pas alors sur la réalité, mais sur une autre image, qui éventuellement ouvre encore sur une autre image, et ainsi de suite, jusqu’à ce que, parfois, comme dans les Menines de Vélasquez, l’image devienne un abîme dont on ne sort jamais. Cette mise en abîme picturale a valeur d’avertissement : ne faites pas trop confiance aux images, elles peuvent vous égarer. Mais dans la carte, c’est tout le contraire; elle est une image exemplaire en ce qu’elle doit aider les marins à sortir de l’abîme. Un morceau de paysage maritime est donc là non pas pour les avertir, mais pour renseigner la lecture de la carte et pointer le cap de la réalité. Quelle est la raison d’un tel retournement du rapport entre l’image et la réalité ? Est-ce parce que la carte géographique est une image qui par divers moyens cherche à être une représentation univoque (du moins pour des lecteurs avertis), tandis que l’image de l’art se fait forte de sa polyvalence : de ses ressemblances et ses dissemblances, de ses allusions et ses rêveries, de ses tonalités affectives et ses formes du désir ? Dans les années soixante du siècle dernier, certains artistes, comme Bernar Venet, lassés par cette polysémie pesante - à la limite une « pansémie (1) » - des traditions artistiques, se sont intéressés à l’impossible image « monosémique » ; d’autres se sont directement inspirés de la carte géographique : Jasper Johns, Robert Smithson, Douglas Huebler, Art-Language, Pierre Alechinsky… et beaucoup d’autres. Et les écrivains avant les peintres, Lewis Carroll ou Jorge Luis Borges ont tous les deux été fascinés par l’idée d’une carte à l’échelle naturelle, le double du territoire. D’où vient cet attrait des cartes ? Si l’on compare une carte géographique du XVIIe siècle à une oeuvre typique de la même époque, c’est le graphisme de la carte qui nous paraît incomparablement plus moderne que le style pictural. Pourtant les cartes n’ont pas été conçues comme oeuvre d’art et d’ailleurs elles ne pouvaient l’être, car elles étaient destinées à la reproduction imprimée, tandis que l’oeuvre d’art devait résulter d’un travail manuel. Cela n’empêche pas de réserver aujourd’hui aux cartes anciennes les mêmes honneurs qu’aux oeuvres d’art : leur consacrer des expositions dans les musées, publier des catalogues (2), etc. Mais en quoi consiste leur « modernité » plastique ? Prenons quelques exemples. Dans certaines cartes, la texture qui représente des reliefs montagneux peut rappeler l’abstraction lyrique de la peinture des années cinquante ; dans d’autres, ces mêmes montagnes sont rendues par des motifs décoratifs, etc. Tout dépend en fait du code visuel adopté, car la carte géographique est vraisemblablement la première tentative délibérée de fonder l’image sur un code, c’est-à-dire sur une sorte de langage ou en tout cas sur une convention, alors que la tradition occidentale tirait le sens de l’image du côté de la ressemblance. La carte est donc une image, mais elle s’offre comme un texte à lire : c’est une image à lire. Sa complicité avec l’imprimé n’est donc pas superficielle : en travestissant Mallarmé, on pourrait dire que toutes les cartes du monde existent pour aboutir à un livre. L’atlas géographique est en effet - et de manière essentielle - un livre d’images destinées à la lecture. La fonction de la carte géographique incline sa perception esthétique du côté de l’univers de la lecture, et son attrait - sa modernité - vient peut-être de là. Ce qui est donc radicalement inédit et captivant dans la carte géographique, c’est la particularité du code visuel qui s’immisce dans l’expérience esthétique à laquelle elle peut donner lieu. Conventionnels, les signes de la carte ne sont toutefois pas purement arbitraires : la mer est bleue, la neige blanche et la forêt verte. Sans imiter les formes naturelles, les signes conventionnels de la carte géographique peuvent eux aussi être justifiés par la perception, comme si la nature offrait ses formes également aux cartographes. Mais la carte a besoin de la légende qui en donne le code et en permet la lecture, et cette légende est un élément plastique de l’image, élément crucial dans la mesure où il est autoréférentiel et donne par conséquent la clé d’un autre accès - lisible - à l’image. La carte géographique est donc un curieux mélange - aux proportions et ingrédients certes variés selon les cas - de deux types de représentation, comme dans ces cartes anciennes impliquant deux vues sur la nature. Elle est une image conventionnelle mais ressemblante, une imitation par le truchement d’un code graphique et par conséquent une réactualisation des traditions picturales qui sont ainsi retraduites dans un langage des formes. La carte est en effet un système de signes dont le sens est déterminé par leurs formes, ce qui en constitue la singularité, tandis que le présent texte, au contraire, qu’il soit imprimé en noir ou en rouge, en petit ou en grand, en Garamond ou en Arial, ne changera pas de sens. Un des éléments de la convergence esthétique - c’est paradoxal - de l’art moderne et des cartes géographiques anciennes est que les dosages de ce mélange plastique que constitue la carte géographique visent à atteindre la nature non pas par la ressemblance, mais par un code plastique. Un tel projet n’est pas étranger à l’art moderne : briser le chemin court de l’illusion pour offrir aux spectateurs des clés pour la lecture du monde (chemin long). La peinture aussi a toujours été une pratique hautement conventionnelle, mais pendant longtemps sa conscience théorique n’en rendait aucun compte, convaincue qu’elle était depuis l’Antiquité grecque que sa pratique repose sur l’imitation (mimesis). Aujourd’hui on constate facilement le caractère conventionnel de la peinture en comparant par exemple les paysages faits à différentes époques ; chacune avait sa propre façon de concevoir le paysage (mais aussi le portrait, la nature morte, etc.), donc son propre code plastique. Certes, la symbolique, l’iconographie, l’allégorie, etc. sont elles aussi des codes, mais davantage littéraires que plastiques. C’est notamment la carte géographique qui, avec sa revendication d’une plasticité codée, permet de mieux comprendre l’ingrédient conventionnel de la peinture, et elle constitue à ce titre son illumination théorique. Rien d’étonnant à ce qu’elle intéresse autant Denis Briand qui a consacré une partie importante de ses recherches universitaires à la sémiologie ; les Éditions Incertain Sens viennent de publier A Last Slata Atsal. Petit atlas des irritations du monde, dont il est l’auteur. Ce livre d’artiste comporte une trentaine de cartes dont les originaux proviennent des mass média, mais qui ont été recodés pour les besoins plastiques du Petit atlas. Le codage est d’ailleurs le principe de sa composition : diverses références relatives à sa propre histoire ont été transcrites dans ses formes de manière chiffrée. Le Petit atlas peut donc être regardé comme une collection d’images graphiques, éventuellement appréciées pour leur beauté. Mais c’est une beauté lourde de sens. Ses formes et couleurs ont en effet été imprégnées d’une géographie simplifiée et simpliste des mass média, inclinée vers une certaine vision du monde, voire porteuse d’une idéologie de l’Occident maître du monde. Il n’est pas difficile de comprendre les symboles visuels représentant les bombardiers ou les porte-avions, toujours synonymes de la victoire, les soldats armés jusqu’aux dents ou les missiles qui font voler les villes en éclats. Il n’y a pas que les plans cadastraux qui structurent les mentalités et induisent l’idée que l’on se fait de l’espace, puisque les cartes auxquelles le Petit atlas fait référence ne se limitent pas à montrer le monde ; elles nous le font comprendre d’une certaine manière, et cette manière est fort tendancieuse. Attirer l’attention sur cette nouvelle géographie promue par les mass média, quitte à exhiber la beauté graphique des cartes qui la portent - une peinture (géo)graphique - c’est amorcer la déconstruction du sens pour lequel elles ont été conçues. On a dit que les cartes n’ont pas pour vocation de semer le doute, comme le font souvent les images de l’art ; elles doivent avec certitude guider les pas à travers l’espace. Une carte à l’échelle naturelle, ce double poétique du territoire, serait la preuve ultime de la véracité de la carte. Mais où en serait-on si l’on agrandissait ainsi les cartes des journaux télévisés ou des quotidiens ? Faut-il être cartographe pour comprendre qu’elles ont pour mission de voiler le territoire, ses drames, ses souffrances, ses cultures, ses langues, ses singularités. L’art est donc dans son rôle propre quand il s’en empare pour semer le doute. Ici la réfection est réflexion : c’est par la beauté même du travail graphique qu’elle brise l’illusion politique et démasque la « langue de bois » de cette nouvelle géographie, en suscitant, peut-être, le désir de retrouver la réalité par le chemin long, celui de la réflexion. Muqqadasî, dit le texte du Petit atlas, signé des initiales « J. S. », « comprit que ses cartes n’étaient ni copie, ni calque, ni cadastre. Elles répercutaient les démangeaisons, les irritations, les congestions de la mamlaka. Elles décrivaient les avatars de ‘Aql fa’’âl, l’Intelligence Agente, en proie au mélange des éléments, à la génération et à la corruption. Il égrena à voix basse les noms de pays où se propageait la Fièvre Céleste. " 1. Dans « Les Ruptures et la Continuité. À propos de reliefs de 1978 à 1982 », Bernar Venet introduit la distinction entre les images « polysémiques » (la plupart des images, notamment figuratives), les images « pansémiques », notamment les compositions abstraites, susceptibles selon lui de véhiculer - ou de subir - tous les sens que les interprètes veulent bien leur confier, et les images «monosémiques», auxquelles il consacre l’essentiel de son travail artistique ; in Lotta poetica, n° 15- 16, octobre 1983, p. 52. Leszek Brogowski
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