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IAN HAMILTON FINLAY Exposition monographique consacrée à l'artiste écossais Ian Hamilton Finlay (1925-2006) à partir de la collection du FRAC Bretagne. Outre ses installations paysagères, monuments, stèles ou statues, son oeuvre fait montre d'un attachement particulier à l'imprimé jusqu'à la fondation de sa maison d'édition : Wild Hawthorn Press, principalement sous forme d'ephemeras ou de petits livrets servant une approche du mot, du vers ou du slogan proche de la poésie concrète.
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QUATRE CITRONS DES ORCADES Le deuxième livre de Ian Hamilton Finlay, publié après The Sea-Bed and Other Stories de 1958, est un recueil de poésie, édité par Migrant Press à la fin des années soixante. The Dancers Inherit the Party est ainsi paru environ un an et demi après un séjour de plusieurs mois – de février à mai 1959 – à Rousay, une des îles de l’archipel des Orcades, au nord de l’Écosse. Le recueil contient nombre de poèmes qui communiquent le sentiment qu’il éprouvait pour ce lieu et s’appuient sur ses observations et sa connaissance des habitants. Contrairement aux années précédant ce séjour, Finlay y semble établi, satisfait et presque chez lui. Sa poésie elle-même, dans sa forme et ses sujets – un surréalisme populaire, plein d’esprit, avec des effets descriptifs et un jeu lexical, un timbre qui savait s’étonner, des qualités rythmiques inventives – a été dans son ensemble tout à fait différente de ce qui s’écrivait alors dans les Orcades, voire partout ailleurs en Écosse. À certains égards toutefois, son style se rapproche de celui de l’univers des îles, qu’il reflète partiellement, ce qui indique bien sûr le degré d’implication de Finlay dans ce lieu. Dans son commentaire affectueusement ironique des caractéristiques locales, même s’il est largement inventé, on reconnaît par exemple un aspect typique de la culture orale de cette contrée. En effet, ce matériel folklorique et historique est en soi une ressource littéraire très familière que l’on retrouve sans surprise dans le travail d’un contemporain de Finlay, poète des Orcades, George Mackay Brown. Parmi d’autres matériaux locaux que l’on pourrait mettre en comparaison, il y a cette séquence de Brown, que Finlay a sans doute lu : « Orcadians: Seven Impromptus (1) ». Pourtant, plutôt que son rapport au contexte des Orcades, qui a en général été relativement ignoré, ce qui est plus largement soulevé dans les commentaires portant sur Finlay, ce sont les indicateurs de continuité de thèmes et de méthodes entre ses premiers travaux et son œuvre tardive qui sont en effet signifiants. Plus remarquée à l’époque a été la résonnance de son travail avec celui de certains poètes américains, par exemple Lorine Niedecker. Lorsqu’elle a lu pour la première fois ses poèmes en 1961, elle les a qualifiés de « populaires, sauvages et pleins d’esprits », en se demandant si Finlay avait pu lire son travail et en être influencé. Dans son Wisconsin lointain, elle a pu connaître cette poésie parce que le « Puissant » Migrant (comme Richard Price a désigné cette influente small press) a eu un ancrage non seulement en Angleterre, mais aussi aux États-Unis où était établi un de ses éditeurs, le poète écossais Gael Turnbull. L’univers de Finlay allait changer petit à petit, puis rapidement, lorsqu’il a quitté les Orcades pour retourner à Édimbourg (bien qu’il détestât fort les villes), publié le recueil de poésie et établi de nouveaux liens, jusqu’à fonder avec Jessie McGuffie sa propre imprimerie, la Wild Hawthorn Press. Il a bien sûr été impliqué – épisode connu – dans une longue bataille littéraire avec Hugh MacDiarmid. Bien que ses lettres du début des années soixante indiquent clairement que Finlay a souvent pensé retourner dans les Orcades, cela s’est avéré impossible, notamment à cause de ses importantes difficultés à voyager. Comme on le sait, le moment venu il créera sa propre « île » intérieure et sa propre mer (on sait aussi qu’il construisait et vendait ses propres bateaux) à la ferme Stonypath, la Little Sparta, dans le sud de l’Écosse. Les Orcades – « ou, comme Finlay les appelle, l’Arcadie (2) » – lieu d’une importance considérable pour lui, devient omniprésent dans nombre de récits biographiques qui, clairement, doivent plus à sa signification comme mythe qu’à sa réelle relation avec l’histoire de Finlay. Les récits de sa vie lient Finlay aux Orcades de différentes manières, mais beaucoup d'entre eux sont douteux. Il est pourtant clair qu'il ne les visita que trois fois, la deuxième visite, celle de 1959, étant la plus longue. Il y fit son premier voyage en 1955, à l’âge de trente ans, pendant les vacances d’hiver, pour travailler avec sa première femme, Marion, artiste plasticienne. Sa deuxième visite a été possible grâce à un ancien contact qui lui permit de trouver un travail alimentaire sur les routes des îles. Il vivait alors (à Édimbourg) dans des conditions difficiles, et les Orcades l’attiraient aussi comme un refuge, d’une part parce que, lors de sa visite précédente, il s’intéressait vivement à la littérature et à l’art nord européen et scandinave, d’autre part parce que, tout en ayant une vie modeste, il savait que les Orcades lui permettraient d’écrire. Une maisonnette y était disponible. Initialement, il devait y habiter seul, mais pour diverses raisons il dû finalement la partager avec le poète John Sharkey, dont le nom est mentionné dans plusieurs poèmes, et qui arriva aussi au printemps pour travailler sur les routes. La troisième visite de Finlay a eu lieu presque exactement cinquante ans après la première, à peine six mois avant sa mort au printemps 2006, lorsqu’avec Pia Maria Simig, il supervisait l’installation d’une sculpture à Rousay Gods of the Earth, Gods of the Sea, commandée par l’Orkney’s Pier Arts Centre (le titre est emprunté à un vers traduit des Ennéades). Ce travail magnifique est installé sur un site exceptionnel, très proche d’une carrière où Finlay occupait justement son travail alimentaire en 1959 et à moins de deux kilomètres de sa maisonnette, située au bord de la mer, où pendant son temps libre il allait pêcher et lire et où – comme il a été dit ailleurs – il est né en tant que poète. Ayant été auparavant peintre, écrivain et dramaturge, ce qui l’a amené à considérer cette île comme le lieu originaire de la création, c’est sans doute le fait que sa découverte de soi comme poète a eu lieu là-bas. L’important dans le sentiment qu’il a eu pour cette île - idéale à bien des égards - tenait aussi dans la liberté et la paix qui y régnaient, ainsi que la prédilection que Finlay eu toujours pour la campagne, la mer et les bateaux. L’importance de ces îles, comme une sorte de lieu natal, pouvait même se retrouver dans certains récits qu’il a fait de sa vie jusqu’à l’élision des Bahamas, où il est né en réalité, au profit de cette localité du nord qui lui convenait davantage. Finlay se sentait profondément Écossais pour le caractère et la sympathie, hérités de sa famille, et, après 1947, il n’a jamais vécu ailleurs. Toutefois, sa localisation à l’intérieur de l’Écosse (et dans la Little Sparta, intérieurement séparée d’elle) est tout à fait significative d’un point de vue géographique par ce léger retrait des Orcades tout au nord du territoire principal de l’Écosse. L’idée selon laquelle les Orcades devaient être son vrai lieu de naissance est sans doute plutôt satisfaisante comme point de référence. Les lecteurs de The Dancers Inherit the Party apprécieront beaucoup de détails qui l’ont frappé à Rousay, comme c’est par exemple suggéré dans « Finlay’s House in Rousay ». D’un côté, il présente un mode de vie apparemment ralenti, libre et chaotique, où la relation entre l’intérieur et l’extérieur est à certains égards bien plus réciproque que dans l’environnement domestique conventionnel de la ville. Pourtant « lots and lots of books » parle d’un réel travail qu’il menait dans cet espace intérieur. Une version un peu plus surréaliste de cette relation entre l’intérieur et l’extérieur, ainsi que de l’appréciation de l’ingéniosité insulaire, essentielle et patiente, est apportée par « Orkney Interior ». Ici, par contraste, plutôt qu’avec hameçon et poisson, le vieil homme partage sa maison avec des phénomènes marins comme les crabes ou une succession de homards. Une autre différence est le soin avec lequel ces phénomènes sont soumis à des fins pratiques, au rythme de la pendule, bien que l’on puisse percevoir un arrangement régulier suggéré par les poissons séchés dans l’exemple précédent. D’autres poèmes du recueil racontent différents motifs que l’on peut ressentir dans les pulsations pastorales des îles. Comme pour la pêche, les Orcades sont réputées pour leur agriculture et, dans un des bavardages ventriloques du poète, les bovins attendent patiemment d’être amenés au marché. On trouve également dans ce recueil un groupe de huit « Orkney Lyrics » qui sont d’un intérêt particulier pour le présent hommage. « An English Colonel Explains an Orkney Boat » est à cet égard tout à fait significatif. Finlay fournit dans ces poèmes une imitation affectueuse du langage des habitants des Orcades, y compris leurs noms, et on trouve facilement des exemples qui illustrent bien son talent pour l’observation et la parodie. Ainsi, dans « Orkney Lyrics » ou dans « the manner of Hugh MacDiarmid », allant même jusqu’à donner la parole à « Mansie », Finlay reprend des bribes de paroles d’un militaire anglais, plutôt fâcheuses (bien qu’enthousiastes), décrivant comment flotte la flotte des Orcades (« boat/ Floats »). L’accent audible dans ce poème, comme le suggère son titre, est ici aussi important dans l’effet qu’il produit que dans d’autres poèmes dans lesquels cet archétype rural des Orcades – masculin « Mansie » (diminutif de Magnus) ou féminin, « Peedie Mary » – se laisse « entendre » prononcer. Il y a en effet quelque chose de particulièrement buoyant dans la façon dont un colonel anglais peut apparaître prononçant ces deux mots qui riment : « boat » (bateau) et « floats » (flotte). Plus loin, étant donné son accent, on trouve dans le court poème une emphase particulière dans la façon dont on se représente la métaphore ou le rythme visuel, métaphore qui revient ailleurs et de manière mémorable dans le travail de Finlay. « You see [the boat] has a point at both/ Ends, sir, somewhat/ As lemons » (tu vois [le bateau] a un bout des deux/Côtés, monsieur, un peu/Comme les citrons). Finlay entend en fait un colonel anglais dans les Orcades décrire un bateau de manière aussi invraisemblable que les paroles qui sont données à proférer aux archétypes de Mansie et de Peedie Mary. Cette métaphore est apparue pour la première fois dans un travail de Finlay publié quelques années auparavant. Néanmoins, l’effet d’un éventail de voix qui s’étend au-delà des poèmes des Orcades, constitue une composante considérable du charme de ce livre. Il ne faut pas oublier qu’auparavant, pendant plusieurs années, Finlay écrivait de courtes pièces, et que répondre ainsi à cet éventail de voix devait lui être naturel (3). Et l’on constate à nouveau cette réactivité à la voix dans les poèmes du début des années soixante comme « Glasgow Beasts, an a Burd, haw, an Inseks, an, aw, a Fush », « Concertina », et même dans « Rapel » (dans la voix de la brûlure ou d’un ruisseau). Le dialecte des Orcades, « l’orcadien », toujours largement pratiqué, est une forme d’écossais qui met en évidence une longue affiliation historique des îles à la Scandinavie. Cela concerne la Norvège, qui gouvernait les îles du nord, mais aussi pendant quelques temps d’autres parties de l’Écosse, jusqu’à la fin du XVe siècle. Reprises alors par la couronne Danoise, les îles sont passées dans les mains de James III d’Écosse par un contrat de mariage. La culture locale reste étroitement liée à cette importante source d’influences et pas seulement par le nom. Bien que nombre de termes du dialecte des Orcades ont disparu de l’usage courant, un noyau très souple ne montre aucun signe d’épuisement. Tout comme l’accent, ce noyau varie localement dans les îles de l’archipel, mais parmi les plus familiers des Orcades, on compte le mot « peedie », qui signifie petit. Ce mot se répète quatorze fois dans The Dancers Inherit the Party. On trouve dans « Island Moment » d’autres exemples du dialecte : « … the yellow bamboo wand/ For fishing sillocks, lithe and cuithes », « wand » signifiant ici canne à pêche, « sillock » et « cuithe », un jeune lieu noir et « lithe », un jeune lieu jaune (les expressions proviennent du vieux norrois). Une autre référence à la langue locale est l’usage intriguant du mot « lapster » ou lobster (homard), que l’on pêche beaucoup dans les eaux entourant les îles. Moins sérieusement que dans la « rime » entre le citron et le bateau orcadien, il combine le fameux crustacé à l’hélicoptère, en raison de sa forme, pour créer un « helicapster » qui lui-même rime avec Scrabster, nom d’un port écossais à proximité. Dans Four Orkney Lemons, donc, « Mansie » fait un compliment au « capitaine » Finlay pour le regard affectueux qu’il portait sur les îles et pour l’importance qu’elles ont dans son travail et dans sa vie. Le compliment porte aussi sur l’ensemble de son travail et en particulier sur l’installation de 2005 au-dessus des falaises de la Leean. Alors que, contrairement à « peedie », ces quatre termes dialectaux ne sont plus dans l’usage depuis longtemps, ils peuvent – en souvenir de l’admiration de Finlay pour les bateaux-citrons – entrer en résonnance avec sa période tardive de poésie concrète, et, jusqu’à un certain point, avec ses interrogations sur l’avant-garde. Les illustrations qui accompagnent la brochure Ocean Stripe Series 5 de 1967 font également écho à ces travaux et à ces réflexions. Ainsi Fisher Lad K802 (poissonnier K802), (lui-même, comme Finlay le laisse entendre, une sorte de poème), est ici amarré dans la Ham Bay (baie du havre), au large de Scock Ness, prêt à d’autres emplois – dans le Son de Rousay (in the Rousay Sound (4)).
1. Publiée dans The Storm And Other Poems, Kirkwall, Orkney Herald, 1954. Alistair Peebles, 2014 (traduit de l'anglais).
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