Retour à l' index

*CATALOGUES
Livres d'artistes
Collection grise
Collection Varia

*
CABINET DU LIVRE D'ARTISTE
Historique
Bibliothèque
Programmation
Journal Sans niveau ni mètre
Informations pratiques

*
ASSOCIATION
Présentation
Adhésion
Commande
Contact

Mentions légales

AGENDA

*À PARAÎTRE

*LIENS


fb

REVUES D'ARTISTES  : UNE SÉLECTION
OXO PASCAL LE COQ
Du 6 novembre au 19 décembre 2008
Vernissage le jeudi 6 novembre à 17h30


Exposition organisée par Marie Boivent, parallèlement à sa thèse de doctorat, qui se déroulera simultanément dans trois lieux :
Le Cabinet du Livre d’Artiste, Lendroit (Rennes) et la galerie des Urbanistes (Fougères).



L’exposition du Cabinet du livre d’artiste est consacrée à la revue expérimentale oxo, éditée depuis 1996 par Pascal Le Coq.
Pensée comme une « encyclopédie du retournement et du glissement sémantique », force est de constater qu’oxo est un peu plus qu’une revue : le projet – en lui-même foisonnement de projets artistiques – tend à devenir un vaste système tentaculaire qui n’exclut pas le développement, parallèlement à sa publication papier, de pages Web ou de manifestations tridimensionnelles.
En plus des quelques 50 numéros de la revue (ou 500 numéros virtuels), sont présentés dans l’exposition des objets dérivés, échappés du contenu oxo. Troublant notre rapport traditionnel à l’œuvre d’art, ces derniers ne sont à appréhender qu’en tant qu’extensions et n’ont d’autre fonction que de servir le projet éditorial et de participer à son développement.

Marie Boivent

. Galerie de photos "OXO"

. Télécharger le carton d'invitation de l'exposition

. Télécharger le Journal du Cabinet du livre d'artiste n°6 au format PDF

. Catalogue de l'exposition "Revues d'artistes : une sélection"

 

OXO : UNE ECONOMIE MARCHANT

Avant d’être une revue, oxo se définit comme une économie. Mais c’est une économie de l’art. oxo n’est pas un jeu de morpion ; oxo est un palindrome. Son extraordinaire économie se discerne déjà dans ce titre qui peut se lire de gauche à droite et de droite à gauche, mais qui reste symétrique aussi selon l’axe horizontal. Un seul titre donc, mais plusieurs façons de le lire. Le titre oxo de Pascal Le Coq annonce en effet ce qu’est sa revue d’artiste : à la fois l’outil et l’objet de transmutations parfaites. La même chose, la même forme, est à la fois soi-même et son autre. C’est très économique. Esthétiquement, on pourrait donc dire qu’oxo joue son jeu de palindrome avec une importante économie de moyens. Faire beaucoup avec peu est peut-être le principe de tous les principes de l’économie de l’art. Si transmutation et économie sont les principes économiques d’oxo, l’on comprend qu’elle est l’exact opposé de l’économie « réelle ».

L’un des intérêts de la revue oxo, et ce n’est pas le moindre, est qu’elle constitue un système économique autonome, que Marie Boivent a décrit et analysé de manière complète dans « Une revue d’artiste à géométrie variable. oxo de Pascal Le Coq (1) ». C’est elle aussi qui l’a invité au Cabinet du livre d’artiste dans le cadre de l’exposition « Revues d’artistes » organisée conjointement à la galerie des Urbanistes à Fougères et à Lendroit à Rennes, exposition dont elle est la commissaire. Pour résumer en quelques lignes le fonctionnement de ce système, rappelons que la forme de la revue dépend directement du nombre d’abonnés : plus il y en a, et plus le budget permet d’enrichir les moyens de fabrication. Mais lorsque le nombre d’abonnés baisse, la revue ne fait pas pour autant faillite ; elle adapte simplement sa forme à la nouvelle donne économique. « De 1 à 5 [abonnés] : édition d’oxo à 5 exemplaires manuscrits (1 page). De 6 à 10 : édition d’oxo à 10 exemplaires peints (2 pages). De 11 à 25 : édition d’oxo à 25 exemplaires imprimés en numérique (4 pages). […] De 5001 à 10000 : édition d’oxo à 10000 exemplaires imprimés en offset pentachromie (512 pages). Plus de 10000 abonnés : tirage aligné sur le nombre d’abonnés, imprimés en offset hexachromie (1024 pages). » C’est seulement la désertion totale d’abonnés (« zéro abonné ») qui conduirait à l’« arrêt définitif d’oxo », mais l’hypothèse ne paraît pas vraisemblable. À la dernière page de chaque numéro, la revue visualise sous forme d’un diagramme l’évolution du nombre d’abonnés, et elle apostrophe nominalement tous ceux dont l’abonnement a expiré. La formule est saisissante, mais laisse aux abonnés toute leur liberté : « Message à l’attention de [suit la liste de noms] : Votre abonnement à oxo est arrivé à son terme. Vous avez maintenant la possibilité de faire monter ou descendre la courbe des abonnés oxo. Pour la faire monter et recevoir les quatre prochains numéros, vous devez envoyer un chèque de 30,- € à l’ordre de l’Association synthétique, 7 rue du Débarcadère, 93500 Pantin. Pour contribuer à la faire descendre, il vous suffit de ne pas vous réabonner. Merci de participer à l’avenir d’oxo d’une manière ou d’une autre ». oxo possède son « registre officiel » d’abonnés, ses règles et leurs «trahisons », ses Reliefs et Transmutations, son dictionnaire et donc sa nomenclature.

Quelques exemples tirés des Notes pour un dictionnaire de l’économie oxo et pour un dictionnaire des reliefs oxo.
« ŒUVRE D’ART. 1. Exemplaire de reliefs oxo transmuté en création économiquement rentable. Sa diffusion dans le  marché de l’art a pour objectif de financer les dépenses non couvertes par les abonnements : recherche fondamentale, fabrication des reliefs, droit de suite, etc. »
« PRIX DES RELIEFS. 1. Les reliefs oxo, bien qu’ils ne soient pas initialement destinés à la vente, peuvent faire l’objet d’une commande. Dans ce cas, l’acquéreur ne paye pas le montant de l’objet désiré, mais doit trouver dans son entourage un certain nombre de nouveaux abonnés en contrepartie. […] »
« CALVAIRE DU QUOTIDIEN. 1. Appel à réabonnement ne provoquant aucun retour ou, plus fréquemment, envoi d’un catalogue de reliefs ne suscitant aucune acquisition. »
« DÉPRESSION. 1. Chute du nombre d’abonnés ne provoquant pas une modification formelle d’oxo. »
Bien sûr, aucun de ces concepts ne doit rester abstrait et sans parité dans le réel ; aussi chacun possède (ou possédera) son équivalent en reliefs oxo – les points « 2. » des définitions citées ci-dessus dont voici un exemple :
« DÉPRESSION. […] 2. Groupe de trous présents sur un objet du quotidien et reproduit en découpe sur une toile blanche. »

L’économie, comme on le sait et on le voit, peut être le domaine d’ingénieuses inventions. C’est parce qu’il les considère et les met en valeur comme telles que le télescopage du discours économique et du discours artistique réussit si bien chez Pascal Le Coq, alors qu’il nous effraie partout ailleurs : « la revue encyclopédique oxo, une œuvre d’art à plein temps […], loin d’être un produit dérivé au service de tableaux ou de sculptures, comme peuvent l’être les catalogues d’exposition, les livres rétrospectifs et autres catalogues raisonnés, est au contraire servi par tout un tas d’objets que j’ai nommés Reliefs et Transmutations. Ces objets n’ont qu’un seul but : assurer la survie de la revue (2). » L’apparent asservissement des objets traditionnellement considérés comme œuvres d’art à l’économie et à la survie de la revue oxo (« ALCHIMIE. 1. Ensemble des phénomènes positifs ou négatifs ayant lieu lors de la transmutation des reliefs oxo en œuvres d’art »), s’avère être finalement une libération paradoxale de l’art par rapport au système économique du marché de l’art par lequel l’art se trouve accaparé dans nos sociétés. En effet, la revue permet à l’artiste non seulement d’assurer lui-même la diffusion de son art sans avoir pour cela besoin d’institutions qui en assurent d’habitude la médiation (et savoir par conséquent de qui est constitué son public, comment il évolue, conclure des « accords singuliers » avec les abonnés, etc.), mais encore
Pascal Le Coq s’est ainsi créé sa propre tribune et toute la production traditionnellement assimilée à l’art (invention des formes et des images) peut trouver là son propre lieu d’exposition.

Mais alors, l’art ne se cantonne plus simplement à inventer formes et images. Son principe a changé à tel point que Pascal Le Coq n’hésite pas à parler de « renversement copernicien (3) ». L’art s’assimile désormais à une prise en main créatrice de l’économie. La création des formes et des images, considérée encore de nos jours comme l’essentiel de la pratique artistique, se trouve marginalisée chez Pascal Le Coq ; réduite à un statut subsidiaire de « contenu éditorial », elle ne fait que suivre l’évolution de la société contemporaine où le marketing et le design empiètent de plus en plus sur les prérogatives de l’artiste ; épousant ces tendances, l’artiste fait reposer ses productions sur le principe de transmutations et s’aide d’outils modernes tels qu’Internet et le navigateur Google. Décomplexé devant la page blanche, il parvient à fabriquer le contenu éditorial à une telle vitesse (et avec un tel sens de l’humour !) qu’il lui faut créer un personnage fictif, Kitschcock, comme alibi susceptible de rendre crédible aux yeux des abonnés la production artistique surabondante qu’une seule personne semble ne pas être capable d’assumer. En effet, un des principes de l’économie oxo consiste à reproduire des numéros de la revue en taille réduite, de telle sorte qu’il puisse y avoir jusqu’à 512 pages oxo imprimées sur une seule page ! Voire plus ! « Ce système qui permet de livrer plusieurs numéros en même temps, précise le dictionnaire oxo, a pour objectif […] d’en accélérer la numérotation ». Mais les 512 pages sur une page multipliées par le nombre de pages de la revue (16), soit 8192 pages de « contenu éditorial », il faut les inventer et les produire ! Cette performance de stakhanoviste de l’économie oxo paraît plus vraisemblable quand on pense qu’ils travaillent à deux, Le Coq et Kitschcock.

La créativité de Pascal Le Coq est donc inépuisable ; elle se doit de répondre aux paramètres de l’économie oxo. Certes, la seule invention d’images et de leurs titres suffirait déjà au lecteur d’oxo à s’estimer esthétiquement satisfait, car c’est beau et gai ; tout peut ici transmuer en tout : les règles en leurs trahisons, les concepts en reliefs, les drapeaux nationaux en textes, des motifs de Seurat en planches pour contrôler le daltonisme, le féminin en masculin. C’est sûrement pour cette raison que le ballon de foot retourné et intitulé « Miss Erotica » devient l’emblème même de la transmutation. « La femme, comme le dit Bordeu à Mademoiselle de L’Espinasse, a toutes les parties de l’homme, […] la seule différence qu’il y ait est celle d’une bourse pendante en dehors, ou d’une bourse retournée en dedans (4). » Mais cette créativité n’est au fond qu’un leurre. Elle ne sert qu’à masquer la mise en place, subrepticement, de l’économie oxo, qui est une autre économie, subversive car fondée sur des principes sains et faisant un clin d’oeil permanent à son autre : c’est une économie qui marche.

Leszek Brogowski

1. Nouvelle Revue d’esthétique, n° 2, dossier « Livres d’artistes. L’esprit de réseau », p.57-66.
2. Texte de l’artiste daté du 10 avril 2008, présenté à la galerie Lara Vincy, Paris, et communiqué par e.mail le 8 avril.
3. Idem.
4. Denis Diderot, Le Rêve de d’Alembert in Œuvres philosophiques, Paris, Garnier, coll. « Classiques Garnier », 1956, p. 328