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BEN PATTERSON "WHERE AND HOW DID YOU FIND THAT!"
Du 3 novembre au 20 décembre 2011

À l’occasion de la réédition de Methods & Processes [1962] aux Éditions Incertain Sens, le Cabinet du livre d’artiste invite Benjamin Patterson, l’un des fondateurs du mouvement Fluxus, pour une exposition monographique et une série de performances


JEUDI 3 NOVEMBRE DÈS 17H
> Rencontre / Discussion avec Benjamin Patterson,
introduite par Bertrand Clavez
(1er étage du bâtiment Ereve)

ET À PARTIR DE 18H
> Vernissage et performances:
"Selection from Methods & Processes"
"370 Flies"
"Pond"
"A Fluxus Elegy"
"Tristan & Isolde"

. Télécharger le carton d'invitation de l'exposition

. Galerie de photos du concert du 3 novembre

. Galerie de photos "Where and how did you find that!"

. Télécharger le Journal du Cabinet du livre d'artiste n°21 au format PDF


BEN PATTERSON, DILETTANTE MÉTHODIQUE

La destinée artistique de Ben Patterson est singulière, et le déficit de reconnaissance dont il fait l’objet encore aujourd’hui ne laisse pas d’étonner ceux qui connaissent son oeuvre et son itinéraire. Pionnier parmi les pionniers, présent à toutes les manifestations qui ont construit la geste des néo-avant-gardes, cofondateur de Fluxus, musicien accompli et performer remarqué, il est de toutes les aventures : avec Lourdes castro pour KWY, avec Robert Filliou pour La Galerie Légitime, dont il est le premier exposant, avec Mary Bauermeister à cologne, avec Daniel Spoerri à Paris, avec emmett Williams à Wiesbaden, avec Vostell et Paik, qu’il connaît bien avant Fluxus, avec George Maciunas en allemagne et Dick Higgins à New York. Il est véritablement un des piliers fondateurs de cette galaxie néo-dadaïste, croisant Stockhausen pour mieux rencontrer John cage, Merce Cunningham et David Tudor avec qui il joue dès 1960.
Par bien des aspects, Methods & Processes est exemplaire des expérimentations artistiques des années soixante : sa structure faite de suites d’instructions, sa composition usant de la répétition comme de la rupture du discours, sa présentation en leporello permettant de jouer avec l’ordre des textes, la nature même des instructions données…tout concorde pour placer le lecteur, non dans la position habituelle du récepteur mais dans celle, en l’occurrence typique de l’époque, de l’acteur du texte.

entrez dans une boulangerie
sentez
sortez
entrez dans une seconde boulangerie
sentez
sortez
entrez dans une troisième boulangerie
sentez
sortez
continuez jusqu’à ce que vous ayez de l’appétit


Au demeurant c’est cette dimension actionniste et interactive qui permit à de nombreux textes de l’ouvrage de se trouver interprétés comme performances publiques lors de festivals Fluxus : de la fameuse Lick Piece, durant laquelle Letti Lou eisenhauer fut livrée nue et couverte de crème fouettée aux bouches de l’assistance à New York en 1964 à Ring small bell encore récemment interprété par l’artiste en France.

Habituellement assimilé à une partition musicale, ce type de production littéraire connut une vogue certaine depuis les travaux pionniers de George Brecht et La Monte Young entre 1958 et 1960. en cela, Methods & Processes accuse sa proximité avec les nombreuses publications comparables disponibles à l’époque, de Water Yam de George Brecht – publié peu après – à An Anthology de La Monte Young, édité en 1963, en passant par certaines partitions reproduites par Wolf Vostell dans Dé-coll/age. Pourtant, outre le fait que chronologiquement, en tant que publication, il les précède, il s’en distingue également par une tonalité propre qui maintient en permanence les textes à la frontière de la poésie et de la partition : si, dans l’exemple cité plus haut, le caractère clairement actionniste ne fait guère de doutes, tous les textes ne sont pas nécessairement appropriés à une formulation effective, ou du moins à une réalisation perceptible par un autre que par celui qui l’agit. Certains même semblent défier toute autre réalisation que purement mentale, telle cette « pyramide de dents de crocodile et de plumes » dont l’image pour saisissante qu’elle soit, n’en demeure pas moins vouée au domaine des projections mentales plutôt que des instructions destinées à se manifester dans un objet tangible (bien que, naturellement, les artistes contemporains aient montré leur capacité à produire des oeuvres d’une méticulosité semblable). Pour le dire brièvement, nous n’avons pas seulement affaire à un recueil de partitions, mais à un ouvrage qui intègre, dans son signifiant comme dans son signifié, la situation de lecture en tant que forme active de la participation artistique : moins méditatifs que les Events de George Brecht, moins contemplatifs que les Scores de La Monte Young, moins expressionnistes que les Dé-coll/age de Vostell, moins nostalgiques que la Topographie anecdotée du hasard de Daniel Spoerri, moins énigmatiques que les partitions de John cage, moins systématiques que les permutations d’Emmett Williams, moins répétitifs que les poèmes de Filliou, les textes de Ben Patterson ne se trouvent pas pour autant diminués. Ils affirment au contraire une liberté de ton, d’aspect et de nature qui dégage une singularité puissante et distingue clairement leur auteur de la production de ses amis, marquant l’avènement d’une poétique propre qui demeure jusqu’à aujourd’hui caractéristique de ses oeuvres. Plutôt que de produire une démonstration ou de décliner un système, ils forment une sorte de manuel épicurien nous enjoignant de jouir de notre environnement et de nos sens, moins pour atteindre l’illumination que pour illuminer ce que l’on atteint.

regardez une étoile brillante
comptez jusqu’à dix
tournez la tête trois fois dans le sens des aiguilles d’une
montre
tout en continuant de fixer l’étoile

Methods & Processes
est donc une méthode comme le confirme une présentation en forme de suite d’exercices – des processus - permettant d’expérimenter notre environnement et de nous confronter à nous-mêmes et doté d’une iconographie tirée de manuels de gymnastique ou portant des signes graphiques indiquant le mouvement figé par la photographie. Cette dimension didactique est récurrente dans l’oeuvre de Ben Patterson, on la retrouve aussi bien dans Seminar II, que dans How to be Happy ou dans Notes on Pets, comme si, effectivement, l’artiste souhaitait transmettre non par des exemples mais par des pratiques cette communion avec le réel réapproprié esthétiquement que défendaient les artistes de Fluxus. Ce faisant, il évoque au gré de ses pièces, tout autant l’intimisme des Activities de Allan Kaprow que l’inquiétante étrangeté de certains Statements de Lawrence Wiener et les détournements de l’esthétique administrative, caractéristiques selon Benjamin Buchloh, de la critique institutionnelle menée par les artistes conceptuels au cours des années soixante-dix.

Patterson est en 1962 un contrebassiste classique en rupture d’orchestre depuis sa rencontre deux ans auparavant avec John Cage à cologne chez Mary Bauermeister : alors qu’il doit rencontrer Stockhausen grâce à une lettre d’introduction de l’ambassadeur de la RFA au canada qui est le beau-frère du compositeur allemand, il se retrouve à interpréter Cartridge Music de John Cage dans un festival anti-Stockhausen et s’engage dans une toute nouvelle direction : du brillant interprète professionnel intéressé par la découverte de nouveaux horizons musicaux, il bascule dans l’atmosphère d’expérimentation radicale qui stimule le petit groupe qui a invité cage, Merce Cunningham et Carolyn Brown à cologne. Rassemblés autour du couple de peintres formé par Laslo Lauhus et Mary Bauermeister, Wolf Vostell, Nam June Paik, Heinz-Klaus Metzger et bien d’autres multiplient les concerts, lectures, actions et autres expositions. Leurs activités connaissent un vrai succès et attirent aussi bien Theodor Adorno, que les artistes les plus en vue de l’époque.
L’écriture musicale de Benjamin Patterson ne tarde pas à montrer combien ce nouveau milieu l’influence et si, au début, il utilise les déplacements d’une fourmilière pour tracer ses compositions (Ants, 1960), il n’est pas long à commencer à employer des séries d’instructions pour réaliser ses partitions, comme pour Lemons, une oeuvre créée avec Wolf Vostell et William Pearson en 1961 ou sa composition la plus célèbre de l’époque Variations for Double Bass (1961) qui le singularise dans ce milieu profondément marqué par la musique : les aspects plastiques, actionnistes de son travail le rapprochent du Nam June Paik des débuts, celui des pianos arrangés et de l’attaque de la cravate de Cage à coups de ciseaux et accompagnent l’évolution des Dé-coll/ages de Vostell de leur aspect strictement affichiste semblable aux anciens Lettristes Dufrêne, Hains et Villeglé, à leurs dimensions de véritables happenings qu’ils prirent au cours de l’année 1961. Entre musique et actionnisme, collages et instructions, l’oeuvre de Patterson a rapidement trouvé les moyens d’expression qu’elle continue d’employer : la dérision constante à partir de matériaux dérisoires (comme ces paroles de chanson Yéyé converties en puzzle et vendues dans des boîtes d’allumettes placées dans la casquette de Robert Filliou pour la Galerie Légitime en 1962), le décalage subtil de rituels sociaux bien connus (traverser sur
passage clouté par exemple comme dans A very Lawfull Dance for Ennis) et un rapport délibérément prosaïque à la grande musique, comme ces leurres utilisés pour la pêche à la mouche évoquant La Truite de Schubert ou ce poulet enflammé courant sur un fil employé dans sa version de L’oiseau de Feu de Stravinski.

Ces quelques éléments confirment combien peut être étrange la discrétion de cette oeuvre, qui eût pu rencontrer une postérité semblable à celle des artistes et des ouvrages cités ici, d’autant que Patterson, l’artiste, est connu et reconnu par ses pairs, y compris ceux dont on aurait pu penser que leur chemin étaient éloignés comme Orlan qui est une de ses proches de longue date. À cela, il est quelques raisons. Publié à cent exemplaires à compte d’auteur, Methods & Processes est rapidement devenu introuvable en raison de sa fragilité et de son mode de diffusion restreint, puisque Patterson l’avait adressé à une centaine de personnes choisies dans une liste d’adresses obligeamment fournie par Daniel Spoerri. Le texte accompagnant l’envoi gratuit, mentionnait la possibilité pour le récipiendaire de payer l’expéditeur en retour si l’ouvrage lui plaisait. La somme de cinq francs était suggérée. En outre, la carrière artistique de Ben Patterson connut une éclipse longue d’une vingtaine d’années, entre 1965 et 1982, durant laquelle l’artiste se consacra à des travaux qui, pour n’être pas qu’alimentaires, ne l’en maintinrent pas moins éloigné de la scène artistique du moins en tant qu’acteur direct : militant pour les droits civiques des Noirs, il s’aperçoit avec Seminar II, qu’à la question « avez-vous déjà défilé pour les droits des Noirs ? » aucun de ses amis, pourtant engagés politiquement et en lutte contre la guerre du Vietnam, ne l’avait fait. Cette dichotomie, estompée lors du séjour en europe durant lequel il est un artiste américain, redevient criante à son retour aux États-Unis où il apparaît plutôt comme un artiste afro-américain et ravive l’impasse de sa situation au moment de son départ à la fin des années cinquante : contrebassiste classique virtuose aux études musicales brillantes, il avait été impossible de trouver sur le territoire américain un ensemble philharmonique capable de convaincre son conseil d’administration d’embaucher un Noir et c’est à Ottawa qu’il avait pu débuter sa carrière comme première contrebasse du philharmonique avant d’entrer dans l’Orchestre symphonique de la VII° Armée américaine en europe. en 1964, lorsqu’il revient aux USA, après avoir accompli une révolution complète de son approche de la musique et alors qu’il jouit d’une véritable reconnaissance dans le milieu expérimental, la situation ne lui semble pas avoir véritablement changé puisque, même dans le mouvement le plus internationaliste de l’époque, Fluxus, son identité de Noir demeure indépassable. C’est alors qu’il décide de s’éloigner de sa carrière d’artiste pour s’engager pleinement dans la lutte pour les droits civiques et le refus de la ségrégation tout en menant une vie professionnelle liée à l’art : après avoir été bibliothécaire à la National Library, il créa une agence artistique spécialisée dans les musiques contemporaines, travaillant avec Steve Reich, Bob Wilson, Christian Marclay, Max Neuhaus et bien d’autres. Enfin, il intègre le Service des Affaires Culturelles de la ville de New York au moment où John Lindsay, militant pour les droits civiques et Maire de New York, rejoint le parti démocrate ; sa mission consistera alors à répartir les financements privés versés par des mécènes entre les projets artistiques bénéficiant du soutien public.

Pour autant, Patterson ne se reconnaît pas comme un artiste Noir mais comme un artiste tout court. c’est par une étude plus attentive de ses pièces que cette dimension politique peut apparaître, qu’il s’agisse de la critique du fantasme des rapports interraciaux implicitement établie par Lick Piece

couvrez une jolie femme de crème fouettée.
léchez

une garniture de noix effilées et de cerises est optionnelle


ou d’un certain univers chromatique évoqué par Think of Color Brown dans lequel la subtilité des évocations du brun est systématiquement contrariée par les couleurs pures mentionnées entre parenthèses :

pensez à la couleur brune
(azur)
pensez au parfum des grains de café en train de rôtir
pensez à la sensation du cuir en daim brun
(…)
pensez à la couleur des doigts nicotinés
pensez à l’odeur des chemises tachées par la sueur
pensez à l’orange squameux du fer rouillé
(écarlate)


Au fond, Ben Patterson nous invite d’abord à un authentique épicurisme, un art si mêlé à la vie qu’il serait plutôt un art de vivre qu’une quelconque forme de délectation scopique de spectateur.

Bertrand Clavez